Ce texte est le chapitre 44 du roman Je suis partout (les derniers jours de Nicolas Sarkozy) de Jean-Jacques Reboux (éditions Après la Lune).
Nous sommes en juillet 2011. Depuis plusieurs jours, le président de la République a "disparu" des ondes et des écrans de télévision. Le 14 juillet, il est absent des cérémonies de la fête nationale. Que lui est-il arrivé? Les rumeurs les plus folles circulent. Est-il toujours vivant? Son épouse l'a-t-elle quitté? A-t-il perdu la raison?… Claude Guéant, devenu une sorte de vice-président, convoque un aréopage de conseillers à l'Elysée pour mettre au point une riposte efficace. Difficile d'avouer aux Français qu"à force d'être partout partout partout Nicolas Sarkozy s'est transformé en ectoplasme en route vers le grand nulle part…
Eric Besson, l'un de ses plus fidèles lieutenants, l'un de ses derniers soutiens, véritablement dopé par la charge d'infamie qui pèse sur lui depuis son arrivée au sinistre ministère de l'Identité nationale, ne répond plus au téléphone. Nicolas Sarkozy, dont la paranoïa a atteint des sommets, se demande si son Judas préféré ne l'aurait pas trahi… Ce qu'il ne sait pas, c'est que celui-ci a été kidnappé. Ce qui fait beaucoup rire sur le Web et dans les rédactions des journaux. Ce qui n'était au début qu'une rumeur devient alors une réalité tangible lorsque Daily Motion diffuse une vidéo représentant Eric Besson ficelé sur une chaise, contraint de répondre aux questions de ses ravisseurs.
[Cette vidéo sera prochainement en ligne, patience…]
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Ainsi commence le procès d'Eric Besson! (pour lire l'épilogue, lisez le roman…)
Ficelé sur sa chaise de coiffeur, le ministre de l'Identité nationale était entouré d'une dizaine de personnes assises en arc-de-cercle autour de lui, portant cagoules, foulards, masques, maquillage de clown, passe-montagne. D'autres se tenaient debout à l'arrière, prêtes à répondre aux sollicitations d'un monsieur Loyal en habit de lumière, le visage camouflé par un masque à l'effigie de Mickey, et qui tenait à la main une fiche semblable à celles utilisées par les animateurs de jeux télévisés.
La voix cingla, exubérante, précédée par un magistral coup de cymbale.
– Éric Besson… Merci d'avoir accepté de participer à notre grand jeu Real Identity, sponsorisé, faut-il le rappeler, par la maison Taser X26, fournisseur officiel du ministère de l'Intérieur français… On applaudit bien fort M. Éric Besson, qui nous arrive de Donzère, dans la Drôme.
Applaudissements nourris. Gros plans sur Éric Besson, plus sérieux et renfrogné que jamais.
– Preuuuumière question… Monsieur Besson… Pourquoi persistez-vous à vous montrer plus royaliste que le roi ? Nous savons tous maintenant que le président Sarkozy avait des raisons, on va dire, puissamment pertinentes d'un point de vue psychanalytique, de saper les fondements de notre civilisation française héritière du siècle des Lumières, qui a fait de l'hospitalité aux étrangers un de ses vertus cardinales… mais vous, vous qui n'aviez a priori aucune raison de vous comporter de cette façon aussi brutale avec les étrangers… Vous qui n'avez dans vos ascendants ni vampire hongrois, ni chamane magyar, ni bourreau fasciste, la question se pose, qui nous taraude tous… Pourquoi ? Pourquoi tant de haine ? Ils vous ont fait quoi, les étrangers ? Ils vous ont piqué votre miche de pain ? Vos patins à roulettes ? Votre petit cheval à bascule ? Expliquez-nous s'il vous plaît, monsieur Besson…
L'invité ne pipait mot. Monsieur Loyal tenta de le décrisper d'une pichenette sur la nuque.
– Je ne répondrai pas à vos questions… Vous n'avez aucune légimité démocratique.
– Oh, oh, monsieur emploie les grands mots ! Légitimité démocratique. Mais nous sommes le tribunal du peuple, que diable ! La voilà, notre légitimité.
– Le tribunal révolutionnaire du peuple. Vox populi. Attention, camarade… les mots ont un sens…
Gros plan sur un gros homme en chapeau claque, cagoule et tee-shirt Casse-toi pov' con.
– Cela va de soi, mon cher Maximilien, je vous prie de me pardonner cet écart de langage. Bon… Deuuuuxième question : quand et qui allez-vous trahir la prochaine fois ? Allez-vous trahir dans l'autre sens… c'est-à-dire en bottant le cul à la droite et en retournant à gauche… ou alors en poussant la barre à droite, en offrant vos services à Marine Le Pen, qui, nous dit-on en régie, serait prête à vous engager dans son gouvernement comme ministre des Étrangers à la Mer ?
– Vous vous croyez drôle, franchement ?
– Je pourrais vous retourner la question. Nous ne sommes pas là pour rigoler, monsieur le ministre, on n'est pas chez Jean-Pierre Foucault, attention !
– Ça suffit. Faites de moi ce que vous voulez, je ne dirai plus rien…
– Même sous la torture ?
Chapeau-Claque lui souffla dans les oreilles.
– Bouhhh. Ah, ah ! On a peur ! Quand on vous dit que les mots ont un sens…
– Ah oui, parce que nous avons les moyens de vous faire parler, ça oui ! Première option : huit jours en Afghanistan, avec ta bite, ton couteau, ta gueule enfarinée, ton K-way, cent euros en poche et le guide du Routard édition 1983…
– Deuxième option : vingt coups de bâtons ! Comme à Guignol ! Il aimait bien Guignol, le petit Éric ?
– Laisse tomber, Ravachol, monsieur est courageux, la torture n'aura aucun effet sur lui… Regarde-moi ce cuir… (L'homme donna un léger coup de poing sur son crâne.) C'est solide, ça. Cuir de vache. La vache de l’Oisans. Ultra-résistante ! Pas vrai ?
Le ministre se tortilla comme il le put sur sa chaise. Plus il bougeait plus la merde imprégnait son froc – il se demandait si ça se verrait à l'écran, ce qui aggrava encore sa honte –, il y avait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi misérable.
– Question n°3. Si je vous dis que derrière ce rideau se cache votre pire cauchemar, diriez-vous que vous craignez de trouver, a) Mme Ségolène Royal armée de sa cravache en cuir de baudet du Poitou ; b) un miroir ; c) votre acte de répudiation signée de la main de Nicolas Sarkozy ; d) le récit de votre nuit de noces par votre ex-femme ; e) une armée de nègres, d'Arabes, d'Asiatiques et de Latinos brandissant fièrement leurs titres de séjour ; f) une conversation post-mortem avec votre papa mort pour la France…
– Mort pour la France ! claqua une voix puissante.
– Vous n'avez pas le droit, gémit Besson. C'est dégueulasse…
– Qu'est-ce que c'est « dégueulass » ? lança une jeune fille avec un fort accent américain. Cheveux courts comme Jean Seberg, silhouette d'une éblouissante fragilité, qui lui rappelait un peu sa fille, enfin, le vague souvenir qu'il en avait, à l'époque où il vivait encore dans le monde des vivants qui se respectent[1].
– Te fatigue pas, Loretta, je suis sûr que ce connard n'a jamais vu À bout de souffle. Il est comme son maître, aucune culture… Et maintenant, on ouvre le rideau… Surpriiiiise !
Roulements de tambour.
Un clown fit coulisser un rideau. Un isoloir. Nous sommes dans une école, songea le ministre.
– Et voici… Halimatou ! Il est à toi, ma belle !
Une jeune femme noire d'une suffocante beauté jaillie de l'isoloir se planta devant lui. Comme Jean Seberg elle ne portait ni masque ni cagoule.
– Bonjour monsieur le ministre. Je m'appelle Halimatou, je viens du Sénégal et je suis depuis trois ans sans papiers. Je fais mes études dans un lycée du 14e arrondissement. J'aimerais savoir pourquoi vous avez parlé de « mariages gris »… Personne n'a la peau grise sur Terre, ce n'est pas très gentil, tout ça…
Sa voix était d'une infinie douceur. Éric Besson n'avait d'yeux que pour ses souliers. Il avait envie de pleurer. À cause de la merde qui commençait à couler dans la jambe droite de son pantalon. Monsieur Loyal lui attrapa le menton, le forçant à regarder la jeune fille, qui souriait. Puis, aussi vite qu'elle était apparue, elle passa le relais à une vieille femme au visage de cire qui s'empara fermement de son menton. Il détourna crânement le regard.
– Tu me regardes quand je te parle, bonhomme ministre. On t’a pas appris, à l’école ?
Besson crispa les mâchoires, le regard fuyant. Maintenant il avait envie de pisser.
– Ah, ah… je sens qu'il va parler…
– Ben moi je suis plus dubitatif. Monsieur n'a pas la tête de quelqu'un qui va parler, voyons… Monsieur va se taire… Monsieur se terre… dans le silence… les ténèbres.
– Qu'est-ce que c'est, « dioubitative »?
Les yeux toujours baissés, Besson observait le carrousel des fous qui lui tournaient autour. Dansant en rond comme des Indiens assiégeant le totem, frappant dans leurs mains. Il finit par balbutier :
– Il faudrait que vous me passiez… votre dossier, je… il y a peut-être, il y a sûrement une… faille…
Sa phrase fut accueillie par un éclat de rire général et un chœur de « hou-hou ». Un coup de cymbale ramena le silence.
– Trop tard ! Tu n'es plus en situation de décider, bonhomme ministre. Tu n'es plus rien du tout. Ici tu n'es plus qu'un tout petit microbe… Une mouche tsé-tsé ! Si je veux je t'écrase !
– Un variable d'ajustement !
– Le seigneur du château vient de supprimer le ministère de l'Identité nationale, tu n'étais pas au courant, bonhomme sinistre !
– Qu'est-ce que c'est, « identity national » ?
– Vous ne pourriez pas faire taire cette conne, elle commence à me fatiguer…
– Eh bien, voilà, on devient loquace ! gloussa monsieur Loyal.
– Qu'est-ce que c'est, « lokass » ? Mais pourquoi il me traite de conne, look at me, est-ce que j'ai une tête de conne… Look at him ! C'est lui qui a le visage gris, not me… C'est lui qui se shoote à la deathitude, on dit comment chez vous, deathitude…
– Mortification !
– Thank you, Maximilian…
– Please, Jessica, laisse parler madame Grévin.
– Pourquoi traites-tu les étrangers de cette façon ? Par sadisme ? La jouissance du pouvoir ? Ou peut-être pour te faire du mal ? Serais-tu un bon vieux maaaaasochiste ? Je crois que j'ai percé ton secret, bonhomme ministre ! C'est parce que tu ne supportes plus le reflet de ton visage gris dans le miroir ! Tu te rends compte que tu as raté ta vie, et tu veux te venger sur de pauvres innocents… Alors tu as vendu ton âme au diable le petit Barbare, et pour être sûr que tu ne rêves pas, pour être sûr que tu disposes bien de tout ce pouvoir, tu t'infliges des sacrifices implacables, tu te scarifies la peau jusqu'aux viscères, et plus tu souffres plus tu trouves ça bon de souffrir, ça te fortifie, ça t'enivre, ça te rend puissant, et tu continues parce que si tu t'arrêtes tu vas ressentir un grand vide et que tu as très peur du vide, c'est ça ? J'ai l'impression que tu ressembles beaucoup à ton maître et saigneur le petit Nicolas, non ? Aurais-tu peur de la solitude, bonhomme ministre ? Ou peut-être… de la mort ? Ou peut-être tout simplement… de l'intelligence… Serais-tu un idiot, bonhomme ministre !
– UN IDIOT ! cria la foule. UN IDIOT !
Éric Besson hurlait intérieurement. Sa vessie pesait des tonnes. La femme de cire lui pinça doucement la joue.
– Mais il va me répondre ce mal poli ? Tu ne comprends pas le français ? Tu veux que je te le dise en quelle langue ? Yorouba ? Oualof ? Swahili ?
Petite tape sur le bout du nez. La femme de cire approcha son visage à quelques centimètres de celui du prisonnier en poussant un rugissement de lionne.
– Raaaaaaaaarrrrr ! Bon, allez, je m'en vais, moi. Je serais capable de lui arracher la langue tellement il me donne envie de vomir ce moustique…
Un coup de cymbale retentit, plus puissant que les précédents.
– Tu fais ça pour quoi, alors ? Pour l'argent ? Pour ta carrière ? Pour te venger de Ségolène ?
– Ah, ah, ah… Ah, ah, ah, ah…
– C'est pas une réponse, ça !
L'invité était livide.
C'est à ce moment que monsieur Loyal aperçut la clef USB en pendentif autour de son cou.
– Oh, mais ça nous avait échappé, ça ! SÉCURITÉ !!! Que contient donc ce magnifique colifichet, bonhomme ministre ? Des amulettes ? Du poison ? Voyons voir un peu ça…
Le ministre se liquéfia. Tenta désespérément de se libérer de son joug. Monsieur Loyal arracha le collier et le tendit à la femme au masque de cire.
– Vous n'avez pas le droit…
– Que contient cette superbe clef USB, bonhomme ministre ? Les 50.000 réactions au débat sur l'identité nationale qui te fut offerte à Noël 2009 par ton directeur de cabinet ? La liste des 30.000 expulsés de l'an dix ? Le grand livre des recettes du Haut-Atlas ?
Éric Besson dans un soubresaut tenta de se libérer et emporta avec lui la chaise de coiffeur.
– Je vous emmerde ! Tous ! Vous pouvez faire de moi ce que vous voulez, je ne dirai plus rien… Plus rien, vous m'entendez !… Vous m'entendez !
– Nous vous avons parfaitement entendu, monsieur Besson. Eh bien, je crois que le moment est venu de rendre l'antenne… Votre verdict, madame Grévin ?
– Verdict négatif, les amis. Monsieur n'est pas digne d'entrer dans mon panthéon de cire. Vous pouvez le remettre en rétention…
– La rétention ! scanda la foule. La rétention ! La rétention !
CUT.
Voix off.
Ainsi vient de prendre fin sous vos yeux, mesdames et messieurs, la confession publique de celui qui fut le premier et le dernier ministre de l'Identité nationale de la République française.
***
Éric Besson attendit encore, encore et encore. Une heure passa. Puis deux. Il avait uriné sous lui. On lui avait pris sa montre et son téléphone portable. On lui avait pris sa précieuse clef USB. On l'avait dépouillé de sa dignité. On lui avait tout pris.
Il avait l'impression d’être… un étranger.
Il attendit.
Qu'avait-il de mieux à faire ?
A SUIVRE…
A SUIVRE…
[1] Rappelons qu’en janvier 2010 les trois enfants d’Éric Besson désavouèrent publiquement l’action politique de leur père, en lui demandant de démissionner de son poste de ministre de l’Identité nationale.
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